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paysage

  • Un nouveau lotissement à MUS, suite et fin du paysage Ouest de notre village.

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    Si les vieilles pierres de MUS pouvaient parler.
    Un peu de lyrisme dans ce monde qui s'achève.

    La laideur a ceci de supérieur à la beauté qu'elle ne disparaît pas avec le temps.

    [Serge Gainsbourg]

    La réflexion des murs de pierres du village de MUS

     

    L'on peut s'appeler MUS, être de murs et de pierres, l'on n'est pas forcement de marbre face l'histoire des hommes et à ceux qui m'ont bâti.

    Les coraux de mes clôtures ont connu leurs ancêtres primates.

    Dans les deux mille ans de mon édification, j'ai pu les observer. Je peux affirmer que leurs guerres ne furent rien, pour moi, comparativement aux quarante dernières années de leur paix, et surtout les cinq dernières années. Même leurs guerres de religion imbéciles, et la destruction de leurs sanctuaires, tantôt catholiques, tantôt protestants ne changèrent rien au spectacle que j'offrais au lever du jour et à son coucher, quand le soleil rasant venait caresser mes façades d'un rayon doux et orangé. Les siècles et les millénaires se sont succédé sans que rien ne vienne troubler la sérénité des plaines à mes pieds, longtemps de blé, puis de vignes. Deux mille ans où je n'entendis que le hennissement d'un cheval,l'aboiement d'un chien, le rire des enfants, le fer d'une roue, et le doux murmure des villageois les soirs d'été après la canicule. La voie ferrée eut le tact de m'épargner et courir à travers vigne ne laissant qu'au vent du sud le soin de me rappeler sa présence.

    J'exhibais fièrement et sans complexe mes deux clochers, face à ma grande sœur voisine ,Gallargue, elle aussi perchée sur une colline. Les humains qui me peuplaient, m'aimaient à n'en pas douter et ceux qui ne faisaient que passer, m'admiraient. Certains, au début du siècle dernier, venaient poser leur chevalet pour me peindre et saisir la beauté que j'offrais.

    Tout cela était avant. Avant que, ce qu'ils ont nommé le moteur à explosion, vienne saigner ma colline, déchirer mon silence, défigurer mon paysage. Durant trente années, qui me parurent des siècles, j'ai vu défiler ces moteurs de plus en plus nombreux, de plus en plus gros, de plus en plus bruyants. Les sabots des chevaux se sont tus, le murmure de la place est devenu presque inaudible. Les moteurs ont envahi mes rues. Les humains ne sont sortis de leur maison que pour aller aux sanctuaires, faire péter des feux d'artifice ou courir après des taureaux, étrangement insensibles à ce saccage. Travailler pour vivre et manger est devenu : produire pour consommer.

    Mieux ! Travailler plus pour gagner plus !

    J'ai vu des millions de poids lourds, des milliards de pneus grouiller dans mes entrailles. Parfois, un soir d'hivers ou une journée d'automne, quand la folie des éléments surpassait celle des hommes, que des trombes d'eau ou des monceaux de neiges tombaient du ciel, alors, la plaie béante de l'autoroute cessait de mordre et la douce quiétude millénaire reprenait ses droits quelques heures.

    L'on peut être de pierre, nul besoin de cervelle ni de sciences pour comprendre que la  croissance démente de ces moteurs ne pouvait aller sans la démente décadence de la beauté de notre terre, peut être vers sa destruction.

    J'ai longtemps cru que ceux qui me peuplaient, m'aimaient, du moins jusqu'à ces dernières années. Jusque-là, seuls le tumulte incessant de l'autoroute, et la tranchée qui l'avalait, meurtrissaient la vie de mes habitants. Ils avaient préservé le paysage, laissant les prés et les vignes se la couler douce à mes pieds. Quelques peintres venaient encore croquer ma plus jolie silhouette sur la face ouest de la colline. Devant la laideur de l'asphalte, j'exhibais mes façades au sommet de ma butte, véritable défit au temps.

    Un doigt d'honneur aux moteurs !

    Deux milles ans que je jaillissais ainsi, village suspendu entre ciel et garrigue, aux yeux du promeneur, qui, venant du village voisin, Aigues Vives, franchissait le petit col qui nous séparait. Il ne fallut qu'une paire d'années pour que l'on construise sur mon ventre et sur mon plus beau profil, ce qu'ils appellent un lotissement. Un amas de murs et de toits sans âmes, flanqué à deux pas de l'autoroute, et qu'ils ont nommé « clos de l'écureuil ». Pauvre bête!

    Il ne faudra que deux nouvelles années pour compléter le massacre et construire un nouvel amas de toits et de façades uniforme à côté de l'écureuil. Comment vont-ils l'appeler ? Le clos du sourd ou celui de l'aveugle ?

    Ainsi, saigné par l'autoroute, absorbé par le bruit et la pollution des moteurs, ce qui restait du village millénaire, son pittoresque, va disparaître à jamais. Le chemin creux de la grande terre, qui me portait jusqu'à la place, sera éventré pour que dégueulent les nouveaux moteurs des nouvelles rues.

    Combien faudra-t-il d'années pour que je devienne un quartier de la vaste mégapole qui ira de Nîmes à Montpellier en passant par le bois de Minteau?

    Aux banques et aux assurances les avenues luxueuse des centres villes vidées de leurs habitants  qui viendront dormir sous mes nouveaux toits . Les lieux de cultes des humains deviendront, faute de fidèles, des logements sociaux. Les jeux du taureau seront interdits par souci de sécurité pour les animaux et le quatorze juillet se fêtera à Nîmes ou à Montpellier. Mes quartiers seront débaptisés, on jouera avec mon nom, certains ont déjà commencé, après l'avenue la Musicienne, il y aura le clos de la Musaraigne, la rue de la Muselière et la place du Musée.

    Vraiment, pendant deux mille ans , j'ai cru que les humains qui me peuplaient, m'aimeraient toujours. C'était sans connaître la dernière génération de mussois qui m'administrent.

     

    Ce que la pierre peut-être naïve parfois !

     

    Christian MARTIN